Aujourd’hui c’est tout l’inverse. On assiste à une petite révolution. L’essor des nouvelles plateformes digitales obligent les politiques à se mettre au goût du jour. L’objectif ? Éviter à tout prix d’avoir l’air hors sol, voire pire, ringard ! D’abord Twitter, Facebook, Instagram, LinkedIn et maintenant TikTok imposent leur rythme. A l’horizon de la présidentielle, les plateformes numériques rebattent les cartes et TikTok mène à coup sûr la danse !
Au-delà d’être une plateforme de création de contenus qui invite au lâcher prise et à une liberté de ton, TikTok est aussi et surtout la garantie d’atteindre un public stratégique. En septembre dernier, une étude de l’Institut Montaigne signalait que 55% des 18-24 ans ne pouvaient indiquer de préférence partisane. Concrètement, lors des dernières élections régionales et départementales de juin 2021, 80% des jeunes se sont abstenus. 64% des jeunes montrent « des signes de désaffiliation politique », soit nettement plus chez les parents (40%) et les baby-boomers (36%). En 2021, 70% d’entre eux considèrent que les hommes politiques « sont corrompus ». En parallèle, TikTok a très largement raflé la mise côté engagement de la jeunesse ! En deux ans, la plateforme au milliard d’utilisateurs a fédéré en France 8 millions d’abonnés, dont un quart font partie de la “Gen Z”. Avec un public qui passe en moyenne un peu plus d’une heure par jour sur la plateforme, on peut comprendre que la classe politique voit là un sacré coup de poker.
Les temps changent et nos politiques aussi. Depuis le début de la campagne et pour notre plus grand plaisir on aperçoit Marine Le Pen se débattre avec sa chatte pour sauver sa guirlande de Noël sur un air de Mariah Carey, Valérie Pécresse nous proposer un portrait de Molière facecam et ses légendaires sorties de champ théâtrales ou encore Fabien Roussel se déhancher avec entrain lors d’un pré-meeting à la Réunion. Mais celui qui met assurément tous ses rivaux à l’amende dans cette guerre de l’audience, c’est notre ministre des Transports Jean-Baptiste Djebbari.
Il nous initie aux dernières trends du moment avant même les plus gros influenceurs et cumule sans difficulté des millions de vues sur chacune de ses vidéos. Il utilise à son avantage tous les codes de la plateforme : posture décontractée au fond de son fauteuil, mains dans les poches, lunettes de soleil, selfies mettant en scène sa vie de ministre, utilisation des filtres sans peur du ridicule le tout sur les derniers sons tendances de la plateforme : “We could have been so good together”, “okayyy lets go”, “I will love you either way”, sont autant de musique utilisées en masse par les internautes. Chacune d’entre elles raconte une histoire et aujourd’hui elles racontent l’histoire de la classe politique aussi.
Jean-Luc Mélenchon, l’a bien compris. En 1 mois, son audience a augmenté de plus de 40%. Après son passage média sur TPMP face à Eric Zemmour, les TikTok des clash entre les deux présidents de partis fusent. D’1,1 millions d’abonnés avant l’émission, le candidat de la France Insoumise passe à 1,4 millions. Une augmentation spectaculaire qui témoigne de la bonne stratégie à adopter pour survivre sur la plateforme : celle d’alterner le fond et la forme (technique également utilisée par Marine Le Pen).
L’intérêt de la plateforme chinoise pour la classe politique est assez évident. Au-delà d’être un moyen privilégié d’atteindre la jeunesse, l’objectif est plus large : répondre à une crise de confiance. Et oui, par son aspect ludique, le contenu TikTok permet de tisser de vrais liens avec une communauté. Sortir du carcan de l’homme politique hors sol qui utilise une communication verticale n’aura jamais été aussi simple (à condition de maîtriser les codes). La plateforme est l’endroit parfait pour redorer son blason auprès d’un électorat encore très indécis à l’horizon de la présidentielle. Elle permet aux hommes politiques de sortir de leur position de sachants, de se rendre plus accessibles, de se présenter dans une communication plus authentique et surtout de se rendre plus sympathique. Par le biais de l’autodérision, ils parviennent à diffuser des messages auprès d’un public qui n’aurait jamais prêter attention à leur discours derrière un pupitre !
Eric Zemmour a ainsi récemment revu sa copie et opéré un 360° dans sa stratégie de contenu. Exit les formats politiques classiques de prises de parole et les reposts de capsules de ses interventions médias, le polémiste opte dorénavant pour du contenu good vibe ! Il délaisse un peu plus le fond et met résolument l’emphase sur la forme. Toujours souriant et souvent blagueur, il nous donne accès aux coulisses de sa campagne à coup de matchs de tennis ou de vidéos filmées à l’arrière de sa voiture. Et ça fonctionne, l’audience est au rendez-vous avec plusieurs milliers de spectateurs, voire des millions à chaque vidéo.
« L’intérêt de la plateforme chinoise (TikTok) pour la classe politique est assez évident. Au-delà d’être un moyen privilégié d’atteindre la jeunesse, l’objectif est plus large : répondre à une crise de confiance. »
Pour Fabien Roussel ou Nathalie Arthaud la transition TikTok est un peu moins fluide. C’est mention « peut mieux faire ». Les contenus restent assez classiques, trop institutionnels et ne parviennent pas vraiment à trouver leur place dans cet univers de dérision, de légèreté et de proximité au sein duquel vous avez moins de 8 petites secondes pour séduire votre audience. Ils sont sensiblement identiques à ce que vous pouvez voir sur un compte Twitter classique et n’ont rien d’innovants. L’effet wow n’est pas là et les vues plafonnent. Emmanuel Macron (l’un des premiers politiques sur la plateforme), malgré son contenu un brin classique, parvient lui à échapper à cette malédiction en capitalisant sur sa popularité présidentielle. Exception à la règle, il mise sur le fond et non sur la forme et évoque des sujets qui touchent les jeunes présents sur la plateforme comme le harcèlement scolaire ou l’endométriose. Ses publications se font rares, mais regroupent malgré tout une très belle audience à chaque nouvelle publication !
Il est intéressant de noter que tous les candidats ne sont pas présents sur l’appli. Anne Hidalgo, Nicolas Dupont-Aignan ou encore Jean Lassalle sont pour le moment aux abonnés absents. Certains sont manifestement encore assez frileux et préfèrent garder leurs distances avec cette nouvelle façon de communiquer à laquelle ils ne veulent visiblement pas se risquer. En effet, si l’heure est humaine en théorie sur TikTok ça peut vite devenir « le gros rouge qui tâche ». Marlène Schiappa l’a d’ailleurs appris à ses dépens. Dès sa première publication, la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté a tenté de parodier JP Fanguin. Une idée lumineuse qui lui est revenue en boomerang. Son désormais fameux « Salut jeune entrepreneur » n’a pas su convaincre et la ministre a finalement essuyé bon nombre de railleries.
Mais alors qu’est-ce qui mobilise la jeunesse là-dedans ? Est ce que la fame politique TikTok se traduit mécaniquement par une succes story électorale ? Est ce que la plateforme est vraiment un moyen d’impliquer et de politiser les jeunes ? Rien n’est moins sûr. En tout cas, les politiques y gagnent au moins sur un plan, celui de la visibilité auprès d’un public nouveau. Mais à quel prix ?
La durée d’un TikTok est comprise entre 10 secondes et trois minutes, la fenêtre de tire est donc assez mince pour atteindre le graal : #Goviral. Plus le contenu est court et incisif, plus il fonctionne. Il est tantôt drôle, tantôt un peu limite, mais toujours léger. Ce n’est pas vraiment le mode d’expression le plus simple si vous voulez défendre des idées. Alors est ce que la parole politique peut réellement s’adapter à ces standards sans perdre en crédibilité, sans perdre sur le fond ?
Depuis quelques années, les hommes politiques rivalisent en bons mots, en petites phrases. La petite phrase marque, imprime et se transforme parfois en gimmick voire en slogan publicitaire, mais ne permet en rien de rentrer dans le fond d’un sujet. Catchphrases et mises en scène sont des outils précieux dans la course aux likes : ils permettent de démultiplier l’impact social media – mais d’un point de vue crédibilité politique, c’est plus risqué. La parole publique laisse sans nul doute de plus en plus la place à la communication, à l’art du spectaculaire, du divertissement. Les petites phrases viennent peu à peu dépolitiser le discours et stoppent souvent net toute argumentation. Exit la confrontation d’idées, l’opinion publique se construit maintenant sur la culture de la punchline, c’est la domination de la forme sur le fond. L’élection de Donald Trump en 2016 a marqué la consécration de la politique du divertissement.
Alors, quel poids prendra Tiktok dans cette élection présidentielle française ? Rendez-vous le 10 avril 2022 pour savoir si une transition follower/électeur aura lieu.